A vingt trois ans, je rêve de voyages. Ma licence de chimie terminée, je profite du service militaire pour m’engager en tant que Volontaire Service Long dans l’Armée de l’Air en Martinique au poste de chauffeur de bus.

Nous sommes une trentaine de jeunes appelés à vivre sur la base dans des bungalows au bord de l’eau, à 8000 km de nos familles, une nouvelle vie commence. Je découvre la mer, la plongée et la planche à voile que je pratique quotidiennement. Nous profitons de toutes nos permissions pour partir avec nos sacs à dos, nos rations militaires et nos hamacs à la découverte de la Martinique et des îles voisines. Nous vivons l’aventure.

A la fin du Service, je rencontre un skipper dans un port qui m’accepte à bord. Et au lieu de rentrer en avion je traverse avec lui l’océan Atlantique à la voile sur un bateau de 12 mètres. Toute la traversée nous aurons le vent de face, le bateau est couché, il est en plastique, ça tape et je découvre que j’ai le mal de mer. Trop tard pour faire demi tour, je prends des cachets de “Mer calme” pour me soigner. Mais je dois vite les arrêter car ils me donnent des hallucinations. Le seul moment durant lequel je ne vomis pas c’est lorsque je suis à la barre. Alors le plus possible je vais sur le pont, aux éléments et le mal de mer finit par passer. J’ai des souvenirs de nuits magiques, seul au poste de commande éclairé par des milliers d’étoiles, accompagné par le chant des dauphins que j’entendais siffler à travers la coque. Je me rappelle des poissons volants qui s’échouent dans la voile, d’une pleine lune rousse qui se lève sur une mer d’huile et qui m’a fait croire à l’arrivée d’un OVNI (j’avais pourtant arrêter les cachets), d’une baleine majestueuse qui saute à l’horizon, des bonites délicieuses que nous pêchions à la traîne et du port des Açores avec les superbes dessins sur les pavés faits par les marins qui avaient fait la traversée. Je me souviens aussi de la peur de passer le détroit de Gibraltar de nuit au milieu des porte-containers, du courant que nous faisait reculer, du sous marin qui a fait surface devant nous en pleine nuit le long des côtes espagnoles. Je me souviens qu’en débarquant en France, à Port Leucate, à 25 ans, je n’étais plus le même.